Histoire peu banale d’une épave:
Un ancien pilote de guerre canadien, Wes Agnew, se met en tête, quelques années après sa démobilisation, de rassembler toutes les épaves d’avions qui traînent dans la vaste campagne du Canada. A 650 km de chez lui, il découvre l’épave du Lysander 2442, qui est le nôtre, exactement au nord-ouest d’une petite ville du Saskatchewan, nommée Swift Current.
Une enquête lui révèle que le Lysander 2442 faisait partie d’une série de 225 appareils construit sous licence au Canada. Il aurait été utilisé, de 1942 à 1945 par le « 3rd Bombing and Gunnery Station – Royal Canadian Air Force – Mc Donald Air Base- Portage La Prairie – Manitoba ».
Un grand nombre de Lysander et quelques Fairey Battles servirent de remorqueurs de cibles au sein de cette 3ème Bombing and Gunnery station pour permettre l’entraînement de tir à la mitrailleuse depuis la tourelle dorsale de bimoteurs Bolingbrokes (version canadienne du Bristol Blenheim anglais). Ces entraînements s’effectuaient au-dessus du lac Manitoba, à quelques kilomètres à peine au nord de la base. D’après Wes Agnew, il y aurait encore quelques épaves de Lysander et de Fairey Battles récupérables au fond du lac Manitoba, provenant de la maladresse de quelques mitrailleurs ayant visé les avions plutôt que les cibles !
Mais son arrivée de Portage La Prairie à Swift Current reste pour lui un mystère. Il croit savoir qu’un fermier de cette ville l’aurait acheté pour quelques dollars lors d’une vente aux enchères, qu’il l’aurait transporté pendant 650 kilomètres pour en récupérer quelques pièces pouvant servir à la réparation de matériel agricole pour l’abandonner ensuite au bord d’un champ.
Le 2442 passe 25 années à la belle étoile du Saskatchewan, ensuite une bonne dizaine d’années douillettement au Musée du Cinquantenaire à Bruxelles pour terminer dans les mains des Sabena Old Timers.
Histoire d’une restauration impossible : « Le Lysander des Sabena Old Timers »
En mars 1982, un petit groupe de futurs préretraités conscients de leur « savoir-faire » et se considérant toujours motivés par leur travail, se mettent en tête de restaurer un avion du Musée Royal de l’Armée de Bruxelles (M.R.A). Ils prennent contact avec les responsables du Musée de l’Air et se mettent d’accord pour tenter de restaurer à l’état de vol, le « Westland Lysander » que le M.R.A. leur propose.
Vu l’état déplorable de l’épave, 9 ans après son arrivée du Canada, (cfr. ci-dessus), toute la bonne volonté des bénévoles de notre Musée avait été insuffisante pour remettre ce tas de ferraille, ne fut ce qu’en état de présentation statique. C’est ainsi que le groupe de Sabeniens le découvrit ou plutôt le retrouva après qu’il eut été transféré dans les coins les plus cachés de notre Musée, tant il est vrai qu’il était peu présentable.
Mais c’est bien connu, pour les Sabeniens rien n’est impossible ! Après avoir rassemblé toute la documentation, possible sur le « Lysander », consulté des ingénieurs et techniciens de la Sabena sur la « faisabilité » de la chose, ils décidèrent de relever le défi.
24 juillet 1982
Le 24 juillet 1982, lors d’une petite cérémonie au Musée, l’Association des Amis du Musée de l’Air remet officiellement le « Lysander » au groupe qui se désignera désormais par « Sabena Old Timers ». L’équipe de restauration s’installe alors dans un local désaffecté du hangar 3 situé dans le complexe technique Sabena de Zaventem. Commence alors le travail de démontage et de répertoriage de toutes les parties restantes de l’épave.
1983
Le travail de restauration proprement dit commence. Tous les éléments sont démontés pièce par pièce et chaque pièce est répertoriée puis nettoyée, décapée, inspectée et réparée si nécessaire, ensuite traitée contre la corrosion et repeinte.
Bien entendu, bon nombre de pièces manquent. Les « Old Timers » contactent à ce sujet, le « Canadian Warplane Heritage » (C.W.H) installé à Hamilton dans l’Ontario, qui détient un stock de composants qui pourraient être réutilisables. Un courant de sympathie s’établit immédiatement entre Belges et Canadiens.
A défaut d’argent, les négociations aboutissent sur un troc des pièces disponibles de « Lysander » en contrepartie de la restauration par les Old Timer’s d’un moteur « Pratt & Whitney R1340 » et d’un « Bristol Mercury XX » pour le « C.W.H. ». C’est à dire que les « Sabena Old Timers » devront reconstituer un moteur Pratt & Whitney en état de vol au départ de deux épaves, et deux Mercury à partir de cinq autres épaves.
Heureusement que le travail n’épouvante que les âmes faibles, dit-on. Car si une partie de l’outillage nécessaire pour le moteur Pratt & Whitney a pu être obtenue d »‘Air Zaire », il n’en était pas de même pour celui des Mercury qui dû être complètement fabriqué par les « Sabena Old Timers ». Pour obtenir les certificats officiels permettant l’utilisation de ces moteurs, ces derniers doivent tourner et être testes au banc d’essai. Mais voilà, le banc d’essai ne fonctionne plus. Plusieurs années d’inactivité l’ont détérioré et l’équipe doit également remettre ce banc en état de fonctionnement. Ce scénario, se reproduira très souvent et chaque fois, faute d’argent, l’équipe est obligée de troquer pour obtenir ce qui lui est nécessaire à la restauration !
Le soutien de la Sabena, même sans budget, est important. L’intérêt voire même l’engagement que porte la direction en général envers ce projet et les hommes qui le réalisent est un facteur d’encouragement indiscutable. Les ateliers autorisent l’utilisation de leurs machines-outils disponibles. Le personnel des ateliers a pris l’habitude de ne plus se débarrasser d’accessoires déclassés tels que la quincaillerie, les huiles, les peintures, etc…. devenus inutiles, avant de s’assurer que les « Old Timers » ne puissent y trouver un quelconque usage. Ne pas se sentir seuls mais soutenus comme l’ont été les Old Timers reste indiscutablement un des principaux facteurs de réussite de cette restauration.
Fin 1983
Un important travail de tôlerie s’achève, l’empennage et les volets de profondeur, ainsi que le gouvernail de direction sont terminés. La restauration de l’ossature de l’arrière du fuselage est commencée. Il a fallu construire un gabarit pour maintenir cette ossature sans déformation lors des travaux de soudure. Il est fabriqué au moyen de poutrelles d’acier récupérées dans la parc à mitraille de Zaventem.
Les « Sabena Old Timers » doivent faire face à des travaux bien lourds et inutiles. Un déménagement vers d’autres locaux du hangar 3 . Vous comprendrez facilement le travail que cela comporte. Empaqueter tout ce puzzle de pièces de toutes tailles, du plus petit boulon jusqu’aux épaves des moteurs, en passant par toutes les structures du « Lysander ».
Il leur faut au préalable, vider les nouveaux locaux du matériel qui y est entreposé, nettoyer, repeindre et réaménager les machines-outils et outillages. Il y aura encore beaucoup de temps perdu malheureusement puisque le groupe devra déménager 5 fois avant de s’établir au premier étage du hangar 8 ou il se trouve encore aujourd’hui !
Après ces avatars les travaux reprennent et la partie avant du fuselage s’achève. Une partie des accessoires déjà restaurés sont assemblés pour former les premiers « sous-ensembles ».
1984-85
La restauration de l’aile gauche, qui est fortement endommagée, démarre tambour battant. La moteur « Pratt & Whitney 1340 » a tourné au banc d’essai et est homologué. Le 15ème Wing de transport de la Force aérienne belge amène ce moteur près de Toronto ou le C.W.H. le prend en charge.
Le 26 novembre est un grand jour. En guise de portes-ouvertes, les « Sabena Old Timers » ont invité le Group Captain Hugh VERITY, DSO, DFC qui commanda le « flight » des Lysander au sein du squadron 161, (auteur du livre « Nous atterrissions de nuit », cfr. l’histoire du Lysie pendant la guerre) ainsi que l’équipage et les résistants qui avaient participé à l’opération bien particulière du 16 au 17 novembre 1943 appelée « SCENERY » -. Sir Robin HOOPER, K.C.M.G., D.S.O., D.F.C., Mr. Willy DE QUIN, Mr. Jean , et Mr. Louis MICHAUD.
Quelques 200 personnes sont réunies pour écouter le récit incroyable de cette opération « SCENERY » par les propres auteurs qui ne s’étaient plus revus depuis 42 ans. Les « Sabena Old Timers » se sont d’ailleurs engagés ce jour là, à remettre leur Lysander au couleur de l’avion qui avait effectué cette mission.
En 1986 commence un travail très important qui est l’établissement des plans des couples en bois du fuselage dont absolument rien ne subsiste. Ces couples, qui seront recouverts de toile, forment le corps du fuselage sur l’ossature métallique carrée. Un véritable travail de Bénédictin fait de calculs et d’extrapolations pour lequel plus de 18 mois de travail sont nécessaires car toutes les recherches pour retrouver les plans sont vaines. (Bien entendu, selon la loi de la vexation universelle (Murphy), en juin 88, la restauration du fuselage terminée, ils apprennent que la firme « Westland » constructeur de l’avion, vient de découvrir un exemplaire de ces fameux plans dans leurs archives…)
Le rivetage des tôles du bord d’attaque des ailes, la finition des volets de bord d’attaque, des volets hypersustentateurs, des ailerons et la remise en forme des carénages de roues demandent énormément de travail et de savoir-faire aux deux tôliers dotés d’un admirable courage.
Après de longs travaux préparatoires, le moteur Mercury XX fait entendre son ronronnement caractéristique au banc d’essai et est accepté par le contrôle de l’administration aéronautique belge, le 17 décembre 1986.
1987
Commence l’entoilage des gouvernes suivi de l’entoilage des ailes. En février et mars, c’est au tour du fuselage. La toile est ensuite recouverte d’une couche de « dope », sorte de vernis cellulosique servant à tendre et à protéger le revêtement.
Le moteur est ramené du banc d’essai et installé sur l’avion.
Une phase des plus importantes est maintenant atteinte dans cette restauration. Alors que précédemment on ne discernait que vaguement les formes d’un avion dans cet amas de pièces détachées, en avril, tout semble avancer plus vite. Le 9, le fuselage sort de l’atelier vers le hangar pour y recevoir son train d’atterrissage et le 15, les ailes sont installées. Fin avril, c’est au tour de la verrière du cockpit, l’hélice tripale, le réservoir à essence etc…
Le 9 juillet, sous un soleil éclatant, le Lysander, ressemblant à une énorme libellule, est tracté vers le « tarmac » pour les premiers essais du moteur sur avion. Après quelques tours d’hésitation, le moteur vrombit de facon assourdissante. Dès ce jour, les essais ont lieu régulièrement et toujours sous les yeux de nombreux spectateurs.
Fin août, l’avion recoit sa peinture de camouflage, les couleurs et le code « MA » de la 161ème escadrille et « D » comme promis pour l’avion de Robin HOOPER. (malheureusement décédé entre-temps). Les roues et les carénages de roues sont installés le 8 septembre.
Décembre 87, catastrophe, lors des essais de roulage au sol, l’avion fait une « Girouette », bascule et racle le béton de son aile droite. Le plan fixe en prend un sérieux coup et le train d’atterrissage est faussé.
1988